• Apropos

Cher complice

invisible à mes yeux,

Je vous écris d’un jardin, d’où je peux suivre sans entrave l’ascension du soleil. Celui qui brille toujours quelque part dans l’univers et va sécher les perles de rosée, va réveiller la nature, va déranger dans leur sommeil et dans leurs rêves, les multiples insectes et oiseaux nous ayant fait l’honneur d’une nuit chez nous !

Je vous écris de mon jardin, doux, celui que j’aime car il porte encore en sa mémoire, le passé de votre présence, la douleur encore suintante de votre main physique manquante, la souffrance de votre absence et la sublime richesse de notre silence.

Jardin, subtil, dansant les joies dans les senteurs, hurlant les maux dans la peinture et dessinant d’une main caressante la poésie musicale que vous m’avez apprise.
Répertoires en crescendo, paniers de beaux mots, tranchants et se libérant par des voix autres que la vôtre, dans votre extrême sensibilité, ne pouviez le dire… Ne pouviez me le dire !
Je badigeonne, de miel la tartine du petit déjeuner sur l’herbe et la cicatrice encore visible de la souffrance... Votre main m’accompagne dans ce geste. Vos doigts massent subtilement les angles de la déchirure, et le soleil se lève.

J’observe – avec vous – la mouvance de la lumière, les mensonges de l’ombre et je sens l’envol des parfums. Réveil dans la maison, rien de nous dérange… Nos âmes dansent dans le chèvrefeuille et embarquent dans leurs tournoiements la bignone orangée et la clématite rose pastel.
Réveil dans la maison, les bras s’étirent, l’eau coule, l’odeur des toasts et du café arrive à nos narines, les sentez-vous ? dites-moi, dites-moi ! la sentez-vous ? Vous souvenez-vous de nos petits déjeuners ? De notre profonde intimité ? Celle dans laquelle je vais, encore aujourd’hui, puiser la force et retrouver la sensation de communion mystique afin de survivre à l’ignorance et à l’arrogance des Hommes.

Dans ce lien tissé de fils d’or, indestructible et intemporel, vous avez dû me quitter.
Bien à vous, cette offrande, cette symphonie jouée sur les fils d’or du violon dans notre jardin précieux.