Dans une vie de couple réussie, il faut qu’un subtil équilibre puisse se réaliser entre eros et philia, que les amants deviennent aussi des partenaires amis qui se respectent et s’estiment, capables de partager autre chose que les plaisirs du corps mais aussi les joies du cœur et de l’esprit. C’est philia, l’amitié au sens de vertu et de qualité spirituelle, qui permet au couple de durer et de transcender ses brouilles passagères, ses incompréhensions, voire ses refus et ses frustrations.
Philia, l’amitié, respecte la distance, l’espace et la personnalité de l’autre, tandis que l’amour humain, eros, par essence symbiotique, cherche le rapprochement, l’enveloppement, l’étreinte, au risque d’empiéter sur l’autre, de violer son espace. (…) L’amitié au sein d’un couple rappelle à l’un et à l’autre qu’il y a un temps pour s’unir et un temps pour la solitude, un temps pour partager et un temps pour faire silence, un temps pour l’étreinte et un temps pour le retour sur soi.
L’amitié assure une juste distance qui enlève la crainte d’être absorbé ou quitté. Dans un couple, elle assure la continuité et incarne la persévérance alors que sous le coup d’une déception, d’un malentendu, d’un affrontement ou d’une frustration, des amoureux se lassent, se quittent, ou même se détestent à tout jamais. L’amitié, elle, ne perd pas cœur, elle représente même le courage de poursuivre une relation en dépit de ses troubles et de ses incompréhensions, au-delà des intermittences du sentiment et des caprices du désir.
Le sentiment amoureux (eros) est fragile, éphémère, et sur lui nous n’avons aucune prise ; le désir apparaît nécessairement volage, capricieux, nourri de fantasmes et de rêveries. L’amitié, elle, offre la continuité, l’exigence de durer ; elle édifie véritablement le couple, en dépit des aléas des sentiments et des orages de la passion, des faiblesses ou des disgrâces physiques. Elle permet à chacun des deux de croître et de créer, de découvrir en eux des trésors d’attention, d’écoute, de patience, de tendresse, de joie, qui sont autant de moyens, donnés à tous, d’accéder à ce qui nous dépasse et nous échappe infiniment : l’AMOUR.
Car l’Amour n’est pas une relation et n’a pas d’histoire. Il est sous-jacent à toute relation et à tous les modes de rencontre, de communication entre les êtres, il peut prendre les couleurs de l’amitié ou de la relation amoureuse, de la fraternité universelle avec tout le vivant, visible ou invisible.
Si l’Amour ne nous avait pas aimés, au tout commencement, nous serions bien incapables d’aimer. L’Amour ne vient pas de nous, il passe par nous. Notre liberté consiste à permettre ce passage ou à barricader portes et fenêtres. Notre liberté fait pencher l’Amour du côté de l’amitié, de l’altruisme, de l’amour humain ou de la fraternité spirituelle, elle lui donne divers noms, divers usages, mais Lui demeure entier, total, non fragmenté.
…Oui, j’aimerais que l’Amour m’apprît à aimer !
Passages tirés du livre de Jacqueline Kelen: « Aimer d’amitié, comment l’amitié enseigne à aimer » (Collection Réponses aux éditions Robert Laffont)
Extraits réunis par Jacqueline Roussy