• Reves

La pureté est une vertu difficile à appréhender, à définir. C’est une « évidence et un mystère »

La pureté, c’est ce qui est propre, sans tache, sans souillure, sans mélange. Autant dire qu’elle n’existe pas vraiment.  L’eau pure ne contiendrait ni germes, ni calcaire, ni chlore,  mais ce serait en quelque sorte une eau morte, une eau qui d’ailleurs n’existe nulle part  si ce n’est dans certains laboratoires. « Tout ce qui vit salit, tout ce qui nettoie tue (…)  La pureté est impossible : on n’a le choix qu’entre différentes sortes d’impureté, et c’est ce qu’on appelle l’hygiène ».

Aux yeux de la morale et de la religion,   ce que la loi impose ou autorise  est pur, ce qu’elle interdit ou sanctionne est impur.  C’est la pureté qui permet d’approcher le sacré sans le souiller, d’où les rites de purification que les religions imposent aux fidèles, non pas par souci d’une hygiène recherchée pour elle-même, mais parce qu’elle  est un premier pas nécessaire vers une autre forme de pureté,  plus intérieure.  Il faut remarquer que cette pureté intérieure rendrait finalement la morale inutile. « La morale ne vaut que pour les coupables ;  la pureté,  chez les purs,  est ce qui en tient lieu ou en dispense ».

La pureté, ce n’est ni la continence ni la chasteté.  Elle n’implique pas l’austérité et l’absence de désirs s’ils sont vécus dans l’innocence du corps, dans un partage accepté et sans violence, pura voluptas,  selon Lucrèce  « le pur plaisir,  auprès de quoi c’est la morale qui est obscène (…). Seul le cœur est pur,  ou peut l’être ; seul il purifie ». Alors que l’impureté c’est ce qui humilie, ce qui abaisse, ce qui profane.

C’est dire que rien n’est pur ou impur en soi. La pureté c’est une manière de ne pas voir le mal où il n’est pas, mais seulement là où il se trouve : dans l’égoïsme, la cruauté, le mépris. Car c’est l’ego qui salit tout ce qu’il touche. Et l’impureté se manifeste partout où l’argent, l’ambition  et la gloire sont vécus comme uniques objets de notre convoitise et de nos actions.

 « Posséder, c’est souiller » écrit Simone Weil. Au contraire, « aimer purement c’est consentir à la distance » autrement dit à la non-possession, à l’absence de pouvoir et de jugement, à l’acceptation joyeuse et désintéressée. Et Pavese, dans son Journal, écrit : « Tu seras aimé le jour où tu pourras montrer ta faiblesse sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force »

L’amour qui prend et veut posséder, l’amour qui donne et accepte de perdre : toute la différence est dans ces deux attitudes.  Il s’agit, dans l’amour vrai, de placer tout son idéal dans ce qu’on ne peut ni posséder, ni consommer, dans un amour « en pure perte », exempt de possession, de jalousie et de convoitise. Autant dire que cet amour là  nous est difficilement accessible,  car  toujours teinté d’égoïsme. Il y a pureté chaque fois que l’amour cesse d’être « mélangé d’intérêt » (Fénelon)

 Pourtant il faut aussi concéder qu’il n’est pas coupable de s’aimer un peu soi-même. Sinon comment pourrait-on aimer l’autre,  comme la Bible nous l’enseigne : « Aime les autres comme toi-même » L’impur, c’est de n’aimer que soi.

On le voit : la pureté évoque immanquablement l’amour, vaste sujet sur lequel ACS  s’étend largement dans ce chapitre pour démontrer toute la complexité de notre vie affective,  l’ambiguïté de nos sentiments amoureux  et la manière dont nous les exprimons à travers la sexualité. Dans ce domaine, dit –il, « le corps nous en apprend plus que les livres,  et  les livres ne valent qu’à la condition de ne pas mentir sur le corps ». 

En résumé : « Etre pur c’est être sans mélange, et c’est pourquoi la pureté n’existe pas ou n’est pas humaine. Mais l’impureté en nous n’est pas non plus absolue, ni égale, ni définitive : se savoir impur suppose au moins une certaine idée, ou un certain idéal de la pureté, dont l’art parfois nous parle (…) et que notre vie parfois approche. Cette pureté-là n’est pas une essence éternelle ; c’est le résultat d’un travail de purification – de sublimation, dirait Freud -, par quoi l’amour advient en se libérant de soi : le corps est le creuset, le désir est la flamme qui consume tout ce qui n’est pas le pur or, selon Fénelon et ce qui reste – s’il reste quelque chose – c’est, parfois, et libéré de toute espérance  un acte d’amour pur et pleinement désintéressé ».

« L’extrême pureté peut contempler et le pur et l’impur ( …) c’est le pouvoir de contempler la souillure »  (Simone Weil)

 

Extraits de « Petit traité des grandes vertus » d'André Comte-Sponville, réunis par Jacqueline Roussy