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André Comte-Sponville est un philosophe français contemporain (né en 1952) Il se dit athée et pense que la religion n’est pas nécessaire à l’humanité, la philosophie étant apte, selon lui, à créer le cadre moral et les valeurs  d’une société évoluée.

La nature humaine dans sa totalité et sous tous ses aspects est présente en chaque être humain. Si donc il est vrai que nous pouvons nous reconnaître dans la plupart des comportements propres à la nature humaine, avec plus ou moins de probabilité ou de réalité selon les cas,  il y en a où cela devient franchement impossible, et perd de sa « plausibilité ».  Comment se reconnaître dans certaines déviances, certains actes « extrêmes » qui outrepassent  les lois morales de la société ?   

Or, il est important de trouver un positionnement éthique devant ces débordements puisque la   « miséricorde par identification », proposée par la morale ou la religion,  devient  impossible. Il faut autre chose. Quoi ?

L’amour ?

L’amour est miséricordieux par essence et la miséricorde appelle le pardon. Mais, sommes-nous capable d’amour ? Celui que nous portons à nos enfants nous permet, en principe, de tout leur pardonner. Mais il est  toujours plein d’ambiguïté. De fait, ce sont nos enfants qui auront un jour, peut-être, à nous pardonner de les avoir trop, ou trop mal aimés. En-dehors de quelques belles et finalement rares exceptions, pouvons-nous aimer un salaud qui nous  fait du mal ?  A cette question A.C-S répond NON. Il faut donc encore autre chose, qui s’appelle :

La compréhension :

Quelle liberté ?

  • Le salaud n’a pas choisi librement de l’être. Il est prisonnier de sa haine, de sa bêtise, de ses pulsions morbides. En face de lui,  c’est la victime qui  fait preuve de la plus grande liberté si elle peut vaincre la haine que son bourreau lui inspire. «  Vaincre la haine en soi, c’est remporter au moins cette victoire-là sur le mal ». La liberté est du côté de celui qui pardonne parce qu’il voit trop celle qui fait défaut au coupable.
  • La liberté, c’est le pari de faire ce que l’on veut, mais pour autant est-ce qu’on est libre de vouloir ? C’est une question indécidable. « Est-ce sa faute s’il est méchant ? Oui, dira-t-on, puisqu’il a choisi de l’être ! Mais l’aurait-il choisi s’il ne l’était déjà ? ».

Quelle volonté ? Quelle conscience ?

  • Le mal est dans la volonté, non dans l’ignorance. S’il n’y a pas une conscience de mal faire, c’est une erreur, et c’est excusable (Socrate). « On excuse l’ignorant, mais on pardonne au méchant ».  Seule la volonté est coupable, elle est l’unique objet  légitime de la rancune, et donc de la miséricorde. Quoi qu’il en soit, chacun reste responsable  de ses actes et de ses choix.  « La miséricorde n’annule pas cette volonté mauvaise, ni ne renonce à la combattre : elle refuse de la partager ».
  • La miséricorde par compréhension est donc une démarche intellectuelle qui fait appel à la raison. Elle facilite le pardon, elle évite de répondre à la haine  par la haine et finalement d’être complice de celui qui a commis l’ « impardonnable ».  « Il n’y a pas de faute si grave qu’on ne puisse, en dernier recours la pardonner » (V. Jankelevitch, « Le Pardon »)

On pourrait dire, finalement, que tout s’excuse puisque tout a ses causes et que la haine se dissout dans la vérité. « Tout est réel, tout est vrai, le mal comme le bien, et c’est pourquoi il n’y a ni bien ni mal, hors l’amour ou la haine que nous y mettons. »

Il importe cependant de distinguer l’oubli  de la miséricorde (du pardon). La mémoire doit rester un  vivant enseignement pour l’humanité, et une justice à rendre aux  victimes.
Une question  pourtant se pose : Peut-on,  ou doit-on, pardonner à ceux qui n’ont pas demandé pardon ?

« … Pourquoi pardonnerions-nous à ceux qui regrettent si peu et si rarement leurs monstrueux forfaits ? (…) Car si les crimes inexpiés sont précisément ceux qui ont besoin d’être pardonnés, les criminels irrepentis, eux, sont précisément ceux qui n’en ont pas besoin. »
(Jankélévitch)

La réponse chrétienne va au-delà, considérant que le pardon est un don, non pas un échange (mon pardon contre ton repentir).  En prônant le pardon inconditionnel, elle place la barre très haut .Trop haut, peut-être pour nous pauvres mortels ?

 

Extraits de « Petit traité des grandes vertus » d'André Comte-Sponville, réunis par Jacqueline Roussy